Si la Terre est surnommée « planète bleue », ce n’est pas un hasard. 71 % de sa surface est recouvert par cinq océans et plusieurs dizaines de mers. Quelque 1370.106 kilomètres cubes d’eau pour le plus grand plaisir des océanographes.
Étudier les courants, les vagues et les marées, cartographier les fonds marins… Des tâches qui relèvent parmi tant d’autres du travail de l’océanographe. Parti en mer pour effectuer des prélèvements (plancton, poissons, composition de l’eau), il dépouille les données acquises sur le terrain à son retour au laboratoire. Dans son bureau, l’océanographe traite ses données par ordinateur et publiera un article scientifique. Car le métier d’océanographe c’est aussi partager ses résultats au monde scientifique et au public.
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Louis Fortier est professeur d’océanographie et chercheur au Département de biologie de l’Université Laval. Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la réponse des écosystèmes marins arctiques au réchauffement climatique, directeur scientifique d’ArcticNet, il est aussi leader scientifique du brise-glace de recherche Amundsen. Préoccupé par les répercussions des changements climatiques dans l’hémisphère Nord, le scientifique a reçu en 2010, un Prix du Québec, la plus haute distinction scientifique au Québec, pour ses recherches sur l’Arctique et les écosystèmes des mers glacées.
D’où te vient cette passion pour l’océanographie arctique ?
J’ai été élevé sur les berges du fleuve du Saint-Laurent, dans la baie du Cap-de-la-Madeleine. Au grand désespoir de ma mère, je passais mon temps à m’amuser sur la banquise en compagnie de mon frère et de mes deux chiens.
Quels aspects de l’océan étudies-tu ?
Tous ! L’écologie, les écosystèmes marins arctiques, les flux de carbone, la physique des océans, les courants, la formation de la banquise… mon travail est très pluridisciplinaire.
Ce que tu aimes le plus dans ton métier ?
Le travail en mer ! Je descends d’une famille de navigateurs. J’aime partir à bord du navire, réaliser des explorations scientifiques. Lorsqu’un filet à poissons remonte, c’est encore mieux que de gagner à la loterie !
Ce que tu aimes le moins ?
Lorsque je suis en mer, cela me tient loin des tâches administratives fastidieuses. Et encore, lorsqu’on travaille avec acharnement pour une demande de subvention et qu’on l’obtient c’est une satisfaction intense !
Peux-tu nous parler du brise-glace Amundsen ?
L’Amundsen, c’est mon « bébé » ! Il s’agit d’un partenariat avec la garde côtière. Eux, l’utilisent l’hiver pour déplacer la glace dans le Saint Laurent, et nous en été lorsque la glace est moins imposante. C’est un monstre : il abrite environ 80 personnes, 40 personnes de l’équipage (électricien, ingénieur, logicien) et 40 scientifiques.
Pars-tu souvent en expédition ?
J’essaye de faire une expédition par année. L’an dernier j’étais chef d’expédition en mer des Tchouktches. C’était la première fois que l’Amundsen sortait de nos eaux territoriales. Généralement, je pars pour 3 à 6 semaines. Si cela dépendait que de moi j’y resterais toute l’année !
Ce qui te marque le plus lorsque tu vas en Arctique ?
L’Arctique, c’est complètement une autre planète ! Nous allons au-delà des communautés Inuits, là où les conditions sont extrêmes. L’Amundsen est comme un petit monde qui navigue dans cette immensité. C’est une vraie aventure !
Quelles sont les thématiques sur lesquelles tu travailles ?
Personnellement, j’ai trois sujets de prédilections. Le zooplancton (plancton animal), la morue arctique, l’une des espèces les plus présentes dans ce secteur et les pluies de plancton. Lorsque le plancton meurt, il descend vers le fond de l’océan en une pluie de particules de carbone. Nous essayons de mesurer à quel point l’Océan Arctique nettoie nos émissions de CO2.
Le réseau de centre d’excellence que je dirige s’intéresse à tous les aspects de l’océanographie, jusqu’à les interactions entre les communautés Inuits et l’océan.
Quelles applications découlent directement de tes recherches ?
Nos recherches aident les industries, les communautés et le gouvernement à prendre des décisions. Nous traduisons en termes simplifiés nos résultats pour que les preneurs de décision puissent en comprendre les enjeux. Par exemple, nous sommes en train d’évaluer les impacts potentiels du forage pour l’extraction du pétrole en mer de Beaufort sur la stabilité des fonds marins et les écosystèmes.
Le projet dont tu es le plus fier ?
L’un des premiers gros projets dont j’étais responsable. C’était aussi la première fois que nos équipes utilisaient l’Amundsen. Nous étudions la polynie des eaux de Nord, c’est-à-dire la zone où la banquise ne se forme pas en hiver. C’est un extraordinaire réservoir à mammifères marins et d’oiseaux !
Une situation insolite dans ta carrière ?
Nous commencions à peine une grande expédition en mer de Beaufort que nous étions déjà en déficit de 2,3 millions de dollars ! Mon équipe et moi n’étions pas très habiles à manipuler un budget ! Nous avions acheté trop de réserve de mazout et dépensé trop d’argent dans différents secteurs. J’ai pensé à l’explorateur Roald Amundsen, et je me suis dit qu’il n’aurait pas baissé les bras. Alors j’ai foncé. La mission s’est bien terminée, nous avons redressé nos finances et reçu des financements supplémentaires.
Comment imagines-tu l’Arctique dans une centaine d’années ?
Au rythme où vont les choses, d’ici 2030 la banquise disparaitra complètement à la fin de l’été et provoquera des bouleversements importants. Dans 100 ans, nous aurons déjà assisté au remplacement de la faune actuel : ours polaire, phoque, morse. L’océan sera plus productif, mais nous aurons perdu une richesse du point de vue biologique.
Des conseils pour nos jeunes lecteurs ?
Il faut se préparer à de longues études et être prêt à voyager énormément à l’étranger. Il faut travailler ses mathématiques, sa chimie, sa biologie et se perfectionner dans l’océanographie physique c’est très important.
La préparation d’une expédition se planifie deux ans en avance. Dès le mois de février, tous les participants de la mission venant des quatre coins du monde se rencontrent à Montréal. Les besoins de chaque utilisateur sont étudiés pour que tout le monde soit satisfait. Cela passe de l’organisation des couchettes, aux escales sur le parcours…
L’équipe de l’Amundsen s’occupe de tous les aspects techniques et administratifs. Demande de permis, ravitaillement en nourriture. Louis nous confie qu’ils sont chouchoutés à bord. Trois cuisiniers et un pâtissier leur concoctent des petits plats disponibles jour et nuit ! Dès le mois d’avril, le plan de la mission prend forme. Elle dure en général de 80 jours à une année, mais les équipes se remplacent régulièrement.
C’est le jour J. En compagnie d’autres scientifiques, l’océanographe monte à bord d’un avion gros porteur à Québec et atterrit dans le village le plus proche du navire. Le transbordement final s’effectue alors avec un avion de brousse ou en hélicoptère. Il s’agit d’une grosse opération logistique de deux jours, pendant laquelle les équipes scientifiques se rencontrent et s’échangent les informations utiles. En tant que chef de mission, l’océanographe doit suivre le plus près possible le plan de mission élaboré en amont.
Le brise-glace est un énorme centre de recherche flottant, équipé d’appareils qui enregistrent des données en continu. Les signaux sont alors envoyés par réseaux fibres optiques à un serveur. L’équipe doit quelques fois descendre sur la banquise pour effectuer des relevés et installer le campement. Ils sont extrêmement bien préparés pour faire face aux dangers et s’équipent de carabine pour se protéger des ours polaires.
En octobre, le navire revient et les équipements scientifiques sont retirés pour rendre le brise-glace fonctionnel à la gare côtière. Le chercheur analyse certaines données sur le terrain, mais elles sont également répertoriés dans une base d’archives le « Polar Data Catalogue ». Les données sont protégées pendant deux ans pour permettre aux étudiants de finir leur thèse. Une fois les publications scientifiques sorties, elles pourront profiter à tout le monde.
Louis Fortier a réalisé un DEC en sciences de la nature. Il a poursuivi ses études avec un baccalauréat en biologie pendant lequel il a travaillé comme technicien sur des navires pour en assurer le bon fonctionnement. Il a ensuite suivi une maîtrise en écologie marine à l’Université Laval. Celle-ci portait sur les facteurs déterminants pour la production du phytoplancton dans l’estuaire du Saint-Laurent. Il a par la suite réalisé un doctorat en océanographie des pêches de l’Université McGill sur les larves de poissons puis des études postdoctorales à l’Université de Plymouth, en Angleterre pendant lesquels il a exploré les mers de l’Atlantiques et la baie d’Hudson englacée.
À l’heure actuelle, il existe deux grands types d’océanographes. L’océanographe de terrain comme Louis et celui de bureau. Il y a énormément de demandes dans ce domaine pour la modélisation physique des océans et des écosystèmes, ainsi que pour réaliser des simulations numériques.
Au cégep :
DEC en sciences de la nature (2 ans) ou DEC technique (3 ans)
À l’Université :
– Baccalauréat en biologie, écologie ou discipline connexe (l’Université de Montréal propose un cours en océanographie dans plusieurs programmes de baccalauréat) (3 ou 4 ans)
– Maîtrise en océanographie (2 ans) offerte à l’Université du Québec à Rimouski. Pendant ces deux années, l’étudiant est initié à la recherche et rédige un mémoire.
– Doctorat en océanographie offert à l’Université Laval et à l’Université du Québec à Rimouski (3 à 4 ans)
– Stage postdoctoral à l’étranger (1 à 2 ans)
Et après ?
L’océanographe peut travailler dans différentes structures : centres de recherches, laboratoires, universités en tant qu’enseignant-chercheur, entreprises privées, services gouvernementaux, organismes de météorologie, société de transport maritime, administrations portuaires…