Un garçon sur 3500 est porteur d’une mutation génétique qui cause la dystrophie musculaire de Duchenne. Des chercheurs ont réussi à réparer l’ADN porteur de cette mutation fatale.
Par Joël Leblanc
Jacques P. Tremblay est un formidable bricoleur. Dans ses labos du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ), il manipule l’ADN pour réparer les muscles atrophiés des enfants atteints de la dystrophie de Duchenne.
Cela fait près de 25 ans que ce chercheur en génétique humaine et professeur à l’Université Laval tente de terrasser cette maladie qui affecte un garçon sur 3 500. Et il semble bien proche de la victoire.
La dystrophie de Duchenne commence ses ravages vers l’âge de quatre ou cinq ans. Les bébés qui en sont atteints naissent avec toutes leurs fibres musculaires, mais elles ne se renouvellent pas quand elles sont endommagées. Les muscles des petits corps s’atrophient progressivement et leurs membres s’affaiblissent. À 10 ans, les victimes se déplacent en fauteuil roulant; à 17 ans, leurs muscles respiratoires flanchent et ils sont condamnés au respirateur. Le cœur, qui est un muscle lui aussi, finit par abdiquer, avant l’âge de 30 ans.
«Juste sous la paroi des cellules de nos muscles, explique le professeur Tremblay, se trouve une protéine appelée dystrophine. Elle rend les cellules résistantes aux déchirures. Chez les dystrophiques, cette protéine est absente.»
Mais Jacques P. Tremblay pense qu’il est possible de réparer la dystrophine.
Vrillée, cette protéine ressemble à un long cordon de téléphone. Dans le gène qui produit la dystrophine, comme dans tous les gènes, la succession des bases (les fameuses A, T, C et G) se lit par blocs de trois, chacun des blocs correspondant à un acide aminé. Par exemple, la séquence ATG correspond à l’acide aminé tyrosine, alors que la séquence TAA désigne l’isoleucine. La suite ATGTAA signifie donc que la protéine contiendra une tyrosine suivie d’une isoleucine. Ainsi s’enfilent les acides aminés, comme des perles sur un collier, à mesure que la protéine est synthétisée dans la cellule.
Mais il arrive qu’une petite erreur génétique élimine une base, ce qui décale la séquence dans l’ADN et change complètement la structure de la protéine. Dans le cas où la base G disparaît, par exemple, la séquence devient ATTAA. Le nouveau premier trio qui en résulte – ATT – ne correspond plus à un acide aminé mais à un «stop». Il signale à la cellule que c’est la fin de la protéine. «La dystrophine devient alors non fonctionnelle. C’est un défaut génétique de ce genre – un stop placé trop tôt dans la séquence – qui cause la maladie.»
On sait cependant que la dystrophine n’a pas besoin d’être parfaite pour fonctionner. «S’il manque une section au centre de la protéine, mais que le début et la fin sont présents, elle peut jouer son rôle protecteur», explique le chercheur dans son labo du CHUQ. C’est là, entouré de machines à amplifier ou à séquencer l’ADN, que l’idée lui est venue d’aller rafistoler directement les gènes pour qu’ils se remettent à produire une dystrophine fonctionnelle. Il explique comment lui et son équipe s’y prennent dans la revue Gene Therapy de juillet dernier.
Il existe des enzymes – les méganucléases – qui peuvent couper l’ADN à des endroits précis dans les gènes. Ces grosses molécules reconnaissent une longue séquence spécifique de bases, s’y attachent et sectionnent l’ADN à un endroit précis. Laissées à elles-mêmes, les deux extrémités d’ADN résultantes vont simplement se souder l’une à l’autre. «Mais l’intérêt des méganucléases, s’enthousiasme Jacques P. Tremblay, c’est qu’elles ne font pas une coupure nette; elles éliminent parfois quelques bases dans le procédé. On obtient alors un gène légèrement raccourci.» Si la méganucléase sectionne la séquence où se trouve la mutation (et quelques autres bases), mais que le nombre de bases résultant est un multiple de trois, cela décale un peu plus la séquence et rétablit le cadre de lecture normal à trois bases. Au final, il manquera un ou plusieurs acides aminés quelque part dans la protéine, mais l’ordre ne sera pas altéré. «On obtient une dystrophine un peu moins performante, mais c’est mieux que pas de dystrophine du tout.»
Le défi est de trouver la bonne méganucléase pour chacun des patients. Pour cela, on prend en compte le bagage génétique de l’individu afin de trouver où est localisée la défectuosité, puis on décide quelle est la méganucléase appropriée. Les méganucléases sont produites à l’aide de bactéries en laboratoire, par des firmes comme la française Cellectis. Les nombreuses souches de ces bactéries engendrent des centaines de milliers de méganucléases différentes.
Après injection de méganucléase, la dystrophine réapparaît rapidement, comme l’ont montré les tests in vitro sur des cellules humaines, tout comme les essais sur des souris dystrophiques. «D’ici six ou sept ans, on pourra passer aux essais cliniques. Un jour, quand on détectera la maladie chez un bébé, on lui fera quelques injections de la méganucléase adéquate pour réparer tout de suite le gène de la dystrophine. Comme les fibres musculaires sont le résultat de la fusion de plusieurs centaines de cellules musculaires, elles contiennent plusieurs noyaux. Il suffit ainsi de réparer un noyau sur 500 pour que toute la fibre se regarnisse de dystrophine et que le patient puisse avoir une vie normale.»
La dystrophie de Duchenne sera alors considérée comme un défaut de fabrication que l’on pourra facilement réparer.