[9] Dépister l’alzheimer

Nous disposerons peut-être bientôt d’un test simple et peu coûteux pour diagnostiquer la maladie d’Alzheimer qui touche 500 000 Canadiens.

Par Marine Corniou

Un nouveau cas toutes les 7 secondes; 36 millions de malades dans le monde; probablement le triple d’ici 2050. Ces chiffres reflètent la triste réalité d’une épidémie mondiale, celle de la maladie d’Alzheimer.

Malgré les efforts de recherche déployés depuis une dizaine d’années, la médecine reste en grande partie impuissante contre cette maladie. Incapables d’en expliquer les causes, les spécialistes ne savent ni comment la prévenir ni comment la traiter. Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, ils ne savent pas non plus comment la diagnostiquer.

«Lors de l’apparition de troubles de la mémoire, on ne peut poser qu’un diagnostic “possible” ou “probable” de la maladie», explique Judes Poirier, professeur de médecine et de psychiatrie à l’Université McGill et grand spécialiste de l’alzheimer. À l’aide de tests cognitifs simples, comme le Mini Mental State Examination (MMSE), les médecins évaluent les difficultés d’orientation dans le temps et dans l’espace des patients, leur capacité à se rappeler des listes de mots ou à copier un dessin.

Le problème, c’est que, s’il est vrai que ces différentes tâches sont altérées par l’alzheimer, elles peuvent aussi l’être par d’autres formes de démence, aux causes et aux traitements différents. «Il y a environ 15% d’erreurs de diagnostic, précise le spécialiste. Ce n’est qu’à l’autopsie qu’on est sûr qu’il s’agissait bien de la maladie d’Alzheimer.»

De nombreuses équipes de recherche poursuivent donc le même objectif: mettre au point une méthode diagnostique fiable, précoce et bon marché. C’est peut-être pour bientôt, grâce au test sanguin développé par Vassilios Papado­poulos et son équipe de l’Université McGill.

Ce pharmacien de formation est un spécialiste des hormones stéroïdiennes, comme le cortisol et la testostérone, qui sont principalement produites par les glandes surrénales ou sexuelles. «Dans les années 1980, on s’est aperçu que le cerveau produisait lui aussi des stéroïdes, et plus précisément une hormone appelée DHEA. J’ai donc cherché à savoir com­ment le cerveau la fabriquait», explique Vassilios Papadopoulos. Il a ainsi découvert que la DHEA cérébrale n’était pas synthétisée par l’action d’enzymes, comme c’est le cas ailleurs dans le corps, mais par une réaction chimique dite d’oxydation. «Dans le cerveau, il existe une molécule “précurseur” qui, lors­qu’elle est oxydée, se transforme en DHEA», résume le chercheur.

Or, le cerveau des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer baigne dans un milieu «oxydatif». En cause? Entre autres les fameuses plaques bêta-amyloïdes, que l’on trouve en grand nombre dans la matière grise des personnes atteintes. Ces plaques s’accumulent entre les neurones et produisent beaucoup de radicaux libres (des atomes ou des molécules nocifs) qui endommagent l’ADN et les protéines.

Dans ce milieu «oxydatif», le précurseur  est automatiquement converti en DHEA. «Dans les biopsies de cerveaux de personnes décédées des suites de la maladie d’Alzheimer, lorsqu’on ajoute un élément oxydant, par exemple du fer, cela n’entraîne pas de production de DHEA, ou très peu, car il n’y a plus de précurseur. Alors que dans les cerveaux normaux, l’ajout de fer fait augmenter la quantité de DHEA, signe que le “précurseur” se transforme», explique Vassilios Papadopoulos.

Le chercheur a alors eu une bonne intuition. Si le cerveau des personnes atteintes est dépourvu du précurseur de la DHEA, il y a fort à parier que l’on n’en trouve pas non plus dans leur sang! Pour vérifier cette hypothèse, l’équipe de McGill s’est procuré des échantillons sanguins de 86 personnes, dont certaines étaient en bonne santé, et d’autres souffraient de démence à des stades divers.

«On a ajouté du fer dans les prélè­ve­ments sanguins des personnes en santé, et on a observé une augmentation de 50% de la quantité de DHEA, due à la transformation du précurseur. En faisant la même chose chez des personnes malades, on observe une augmentation de la DHEA beaucoup plus faible, de 2% à 14% seulement. Et, plus les gens sont à un stade avan­cé de la maladie, moins il y a de DHEA.» L’étude, publiée dans le Journal of Alzheimer’s Disease, a piqué l’intérêt de la communauté scientifique. Ce test d’oxydation, simple et peu onéreux, pourrait permettre de confirmer le diagnostic, dès l’apparition des premiers symptômes. Mais avant de le mettre sur le marché, les chercheurs souhaitent simplifier le protocole. «On ne connaît pas encore la nature du précurseur! Dès qu’on l’aura identifié, on pourra détecter directement sa présence dans le sang, plutôt que de le faire indirectement en le transformant d’abord en DHEA», explique le scien­tifique, en confiant avec un sourire que son équipe est sur la bonne voie. L’identité de la mystérieuse molécule devrait être dévoilée d’ici un an. Une autre étude réalisée avec des chercheurs de San Diego, sur 400 patients, devrait quant à elle confirmer l’efficacité du test. L’équipe de McGill est en train de monter de son côté une seconde étude de validation sur des patients montréalais.

Si les résultats se confirment, une prise de sang suffira-t-elle pour poser le diagnostic de ce mal dévastateur? Non, répond le chercheur sans hésiter. D’abord, ce test permet uniquement de déceler la présence d’un milieu très oxydatif dans le cerveau, révélateur de la maladie d’Alzheimer, mais aussi d’autres maladies comme le parkinson ou les accidents vasculaires cérébraux. «Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer restera complexe. Ce n’est pas comme le sida, par exemple, où il suffit de détecter le virus. Mais notre test sanguin permettra d’effectuer à moindre coût un dépistage à grande échelle; le diagnostic pourra ensuite être confirmé avec une combinaison d’imagerie, de ponction lombaire et d’autres tests sanguins», explique-t-il.

Un diagnostic précoce ne permettra évidemment pas de guérir les malades mais, si on sait plus tôt qu’ils sont atteints, on pourra mieux s’occuper d’eux, évaluer l’effet des médicaments et cesser de les administrer s’ils s’avèrent inefficaces. «Il y a 60 ans, le cancer du sein était synonyme d’une mort imminente, tout comme le sida il y a 30 ans. Aujourd’hui, ces maladies se traitent», souligne Vassilios Papadopoulos. Pour l’alzhei­mer, ce sera peut-être la même chose. «Il est donc crucial de développer de bons outils diagnostiques», dit-il avec enthousiasme. Espérons qu’il contribuera à changer l’histoire.

Ont aussi participé à l’étude: Georges Rammouz, Laurent Lecanu et Paul Aisen.

Photo: Lea Paterson/SPL

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